Les établissements hospitaliers face à l’antibiorésistance

Un des objectifs du projet STATIC est d’analyser la manière dont la dimension environnementale de l’antibiorésistance est pensée et prise en charge dans le secteur de la santé humaine. Après un premier billet qui décrivait les enquêtes conduites en Inde par l’équipe de l’Institut Français de Pondichéry, nous abordons ici les enquêtes initiées par l’équipe de l’IRISSO.
BILLETS

Écrit par Henri Boullier

Le 4 avril 2025

5 minutes

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Les antibiotiques sont très utilisés en médecine de ville, mais aussi à l’hôpital, mais on en sait finalement peu sur la façon dont les origines et les conséquences environnementales de l’antibiorésistance y sont gérées. Ce sont ces questions que l’équipe de l’IRISSO veut explorer.


Antibiorésistance et environnement à l’heure de la « Santé unique »

Depuis le début des années 2000, la montée en puissance du concept de « Santé unique » (One Health) a contribué à rendre visible une dimension de l’antibiorésistance jusque-là peu documentée : ses liens avec l’environnement. L’antibiorésistance a en effet longtemps été conçue comme un problème pour la santé humaine ou la santé animale, qu’il s’agit de prévenir et de traiter pour éviter la survenue d’infections mortelles, sans que sa « composante » environnementale soit prise en compte. Cet intérêt émergent pour une approche en termes de « Santé unique » tient au fait que l’environnement peut jouer un rôle important dans le développement des résistances. Comme le rappellent Céline Jamet et Laura Barbier, du Commissariat général au développement durable, dans une interview récente :

« La diffusion des résidus d’antibiotiques et de bactéries résistantes dans les milieux naturels (eaux et sols) favoriserait l’antibiorésistance : rejets d’eaux usées traitées, épandage de boues de stations d’épuration et des effluents d’élevage... La contamination de l’environnement par certaines substances telles que les produits biocides favoriserait également les résistances aux antibiotiques. Mais les mécanismes en jeu et les connaissances sur la contamination de l’environnement restent à approfondir » [1].

Ce sont précisément ces mécanismes et ces connaissances sur l’environnement que l’approche « Santé unique » peut permettre de documenter. Avec le recul, on sait désormais que les trois plus importantes sources de rejets d’antibiotiques dans l’environnement sont la production d’animaux d’élevage, les usines de production de médicaments et les traitements antibiotiques prescrits en santé humaine. Des organisations spécialisées dans la promotion de pratiques de santé qui limitent leur impact environnemental, comme Health Care Without Harm, rappellent par exemple que jusqu’à 90% des doses de médicaments administrées oralement se retrouvent dans les eaux usées [2]. Concernant l’hôpital, l’ONG indique qu’entre 20 et 30% des patients reçoivent un traitement antibiotique durant leur séjour. Pour ces raisons, le projet STATIC s’intéresse aux liens entre antibiorésistance et environnement dans le contexte des établissements de soins, et au rôle que joue – ou que pourrait jouer – l’approche « Santé unique » dans ce contexte.


Ce que l'antibiorésistance fait à l'hôpital

Récemment, de nombreuses connaissances ont été produites, en France notamment, sur la consommation et des rejets d’antibiotiques en santé humaine. Ces connaissances fournissent un matériau précieux pour comprendre quels antibiotiques sont consommés, rejetés, et dans quels contextes. D’après le Centre Régional en Antibiothérapie – Ile-de-France, créé en 2022, environ ¾ des antibiotiques prescrits en santé humaine le sont par des médecins « de ville » (donc hors hôpital), essentiellement par les généralistes, mais aussi par les dentistes et d’autres spécialistes [3]. Pour tenter de réduire au maximum ces prescriptions les CRAtb déploient de nombreuses actions (conseil, formation, promotion d’outils comme Antibioclic®, etc.) à destination des soignants et des pharmaciens. Le reste de la consommation d’antibiotiques en santé humaine se fait à l’hôpital.

Si le projet STATIC s’intéresse au problème de l’antibiorésistance à l’hôpital, c’est qu’il présente plusieurs spécificités. Les patients, d’abord, y sont généralement particulièrement à haut risque de contracter des infections bactériennes. Les points d’entrée pour les bactéries sont nombreux : on pense par exemple aux cathéters et aux interventions chirurgicales parfois lourdes et très qui présentent des grands risques d’exposition (en gastro-entérologie par exemple), mais aussi au fait que les patients sont parfois très vulnérables, âgés ou souffrant de comorbidités. Une seconde spécificité concerne les molécules qui s’y trouvent : certaines ne sont dispensées qu’à l’hôpital, souvent en raison de leur puissance ou de leurs effets indésirables. La troisième spécificité est méthodologique. L’hôpital dispose en effet de frontières géographiques bien définies, ce qui permet plus facilement de déterminer ce qui s’y trouve (comme antibiotiques et comme résistances), ce qui y rentre et ce qui en sort (par exemple via les effluents hospitaliers).

Comment l’usage des antibiotiques est-il concrètement contrôlé à l’hôpital, et comment y lutte-t-on contre l’antibiorésistance ? De nombreux outils sont disponibles pour aider à atteindre ces deux objectifs. D’abord, des procédures de bonnes pratiques : antibiotique de première ligne, prélèvements biologiques (prise de sang), antibiogramme pour identifier les bactéries concernées et leurs résistances, puis éventuellement de nouvel antibiotique mieux adapté si besoin. Elle passe aussi, comme dans le secteur de l’élevage, par des politiques de réduction de l’usage des antibiotiques (Boullier et Fortané, 2025). Depuis 2018, la mission SPARES développe par exemple ConsoRes, qui permet aux établissements de santé d’avoir une vision globale de leur usage des antibiotiques et éventuellement de les comparer à celui d’autres hôpitaux. Ces outils sont cependant essentiellement centrés sur les pratiques de prescription d’antibiotiques et l’identification de résistances chez les patients, mais n’intègrent pas nécessairement l’environnement dans leurs analyses.


Des enquêtes au sein et en dehors de l’hôpital

Ces dernières années, la présence d'antibiotiques dans l’environnement hospitalier – dans l’eau en particulier – fait pourtant l’objet d’une préoccupation grandissante. Les enquêtes conduites dans le cadre de STATIC visent à mieux comprendre les initiatives engagées au sein des hôpitaux – mais aussi en dehors – pour gérer l’AMR, dans une perspective de sciences sociales.

Le problème des rejets d’antibiotiques dans l’eau est particulièrement prégnant dans des contextes où ces derniers sont très importants. C’est par exemple le cas en Inde, où les élevages industriels utilisent de grandes quantités d’antibiotiques et où des usines de production de médicaments rejettent leurs rebuts dans les eaux environnantes (cf. billet de l’équipe de l’IFP). Mais cette question n’est pas spécifique aux pays dits des Suds : en France aussi, des autorités et des chercheurs s’inquiètent des pollutions générées par les activités de soin, notamment à l’hôpital, même si la manière dont la question a été formulée et les mesures mises en œuvre pour y répondre sont notoirement différentes. De manière assez étonnante, on en sait cependant peu sur le devenir (le cycle de vie) des effluents hospitaliers. La littérature existante (microbiologie, sciences de l’environnement, pharmacie, etc.) s’est essentiellement intéressée au contenu des effluents en sortie d’hôpital, sans s’intéresser. Pour combler ce vide, un premier objet des enquêtes de STATIC est d’enquêter sur le cycle de vie des effluents hospitaliers.

En amont du rejet d’antibiotiques, les établissements de soin mettent en œuvre toute une série de mesures pour prévenir les contaminations – et ainsi limiter la nécessité de traitement. Au sein des hôpitaux, l’environnement des patients fait donc l’objet d’une attention toute particulière, dans la mesure où les infections touchent des personnes souvent affaiblies. Pour ce faire, des médecins, des pharmaciens, des soignants, des biohygiénistes, rattachés à des unités de prévention du risque infectieux, travaillent de concert avec les autres services pour limiter la présence de bactéries résistantes dans l’environnement hospitalier. L’entretien des surfaces (dans les chambres, les salles d’opération, etc.) et des dispositifs médicaux est une nécessité autant qu’un défi, avec des risques de contamination biologique élevés en contexte de soin (sang, selles, urines, etc.) et le développement de biofilms, autrement dit de communautés bactériennes qui parviennent à survivre sur des surfaces apparemment propres. Dans le cadre de STATIC, l’équipe de l’IRISSO étudiera les connaissances et outils développés pour gérer les bactéries résistantes dans l’« environnement » hospitalier.



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[1] Commissariat général au développement durable (2023) « L’antibiorésistance, c’est aussi une affaire d’environnement ! » (A retrouver ici)

[2] Health Care Without Harm (2022) « AMR in the environment » (A retrouver ici)

[3] CRAtb Ile-de-France (2024) (A retrouver ici)

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